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Ceres Univers
12 octobre 2008

Chapitre 1 : Lena - La naissance d'une Lame

Voici le premier chapitre de notre saga l'Empreinte du Passé. Pour un premier essai, il est long, j'espère que vous me pardonnerez. Les suivants seront beaucoup plus courts, nous avons décidé de faire ainsi pour faciliter la lecture sur écran et aussi pour mieux travailler notre trame. Pour le premier morceau, je me suis emballée...je ferai très attention pour la suite ;)

Bon courage et bienvenue dans le monde de Cérès.

Chapitre 1 : La naissance d'une Lame

Je suis ce qu’on appelle une bâtarde. Je suis un mensonge, une honte cachée derrière un masque pour ne pas attirer le déshonneur sur ma famille.

J’ai appris ce fait dès mes 5 ans, lorsque j’ai été arrachée à mes proches pour être envoyée sur une des îles les plus au nord des archipels de l’Ordre de Rei. J’étais certes, la fille du seigneur de l’Ordre, mais j’avais été conçue hors mariage. Ma mère, une de ses servantes selon les rumeurs, avait été remerciée peu après ma naissance. J’avoue ne jamais les avoir rencontré. Ni l’un, ni l’autre.


J’ai été envoyée dès mon plus jeune âge en exil au monastère d’Ounda pour apprendre l’art de l’assassinat. C’était soit ça, soit je devenais une servante au service de mon demi-frère. Mais pour une raison que j’ignorais alors, mon père avait plutôt décidé de faire de moi une Main Noire. Dans son esprit, j’allais sans doute être plus utile de cette façon…


Celui qui m’accueillit à l’époque était le moine Kiran. C’était un jeune homme d’une vingtaine d’année qui avait eu pour mission de s’occuper de moi et de m’apprendre les bonnes manières dues à mon rang officieux.

Mais j’étais une enfant turbulente, qui refusait obstinément de répondre aux ordres tant qu’on ne se pliait pas à ses quatre volontés. Dès le départ, Kiran a fait fort de me laisser hurler et taper du pied dans une pièce qui deviendrait ma chambre par la force des choses. Puis il est revenu me chercher lorsque la faim m’a fait comprendre que je ne gagnerai pas.

A partir de là, j’ai compris qu’il était là pour moi. Il est devenu mon protecteur, mon professeur et mon confident.

J’ai grandi sur cette île à peine assez grande pour accueillir le monastère et le jardin où se tenaient le potager et les sentiers de promenade. Il y avait en tout une vingtaine de moine et moniale retirés là pour une vie faite dans la prière et le travail. Un petit monde qui vivait en autarcie presque parfaite…de quoi me retirer de l’univers entier.

Kiran a pris le temps de m’apprendre ce qui faisait tourner notre monde. Il m’a longuement parlé du cataclysme et de son résultat sur la société des hommes. Il m’a donné des cours d’histoire, de géographie, de langue, de calligraphie, de musique…tout pour faire de moi une femme cultivée et empreint d’intelligence.


Puis dès mes 8 ans, l’entraînement physique a rejoint l’entraînement intellectuel. L’assassin que j’allais devenir devait être rapide, fine, silencieuse, invisible…elle devait contrôler ses émotions, son souffle, ses gestes…tout ça dans une philosophie liant le bienfait de la vie à l’apaisement de la mort.

J’ai eu une enfance heureuse quoique harassante. Les moniales prenaient soin de moi et me côtoyaient lorsque je les aidais au potager ou à la cuisine. Les moines me respectaient, parfois avec hauteur mais toujours avec calme. J’étais une bâtarde après tout, je devais savoir où se trouvait ma place.


Kiran s’amusait de la présomption de ses camarades qui tentaient de me démoraliser à travers des remarques cyniques qui n’avaient rien de spirituel.

_Ne fais pas attention à leurs paroles. Ils sont toujours surpris par la vitesse à laquelle tu es capable d’apprendre. Ton père nous protège le temps que nous prenons soin de toi. Lorsque tu partiras, nous serons de nouveau sans tutelle. Et cela les inquiète.

_Je ne vois pas pourquoi. Moi je vous protégerai.

Il a baissé les yeux à ma remarque et a souri en silence. J’avais 11 ans à ce moment-là, j’étais persuadée de pouvoir les aider malgré mes faibles capacités. J’ignorai bien sûr tout ce que la « protection » du seigneur de l’Ordre de Rei voulait dire pour le monastère.

Je dissociais parfaitement ma vie sur l’île et celle que j’aurai du avoir au sein de ma famille. Pour moi, les deux choses n’avaient rien à voir. L’enfant que j’étais rêvait d’être accueillie les bras ouverts le jour où elle aurait terminé mon apprentissage. Bien sûr, la vérité était toute autre.

Je l’ai appris à mes dépends quelques années plus tard, juste après mon 14e anniversaire.


Une nuit, un homme est parvenu à poser le pied sur l’île et à s’immiscer dans les couloirs du monastère. Je dormais sur ma couche, apaisée. Puis soudain, j’ai senti une présence. Le temps d’ouvrir les yeux, une dague est venue se planter dans mon oreiller. J’ai fait volte-face et j’ai frappé fort pour faire reculer mon assaillant.

Au début, j’ai cru à un exercice grandeur nature de la part de Kiran, mais l’homme qui se trouvait là était vêtu différemment, le visage dissimulé derrière un foulard.

_Qu’est-ce que vous me voulez ?!

_Moi rien, me dit-il d’une voix rauque, mais ce n’est pas le cas de celui qui me paye !

Il a brandi une autre dague mais j’ai évité le coup sans grande difficulté. Je ne parvenais pas à comprendre : qui voulait ma mort ? je n’ennuyais personne !

_Allez, laisse-toi faire…Ça me fera gagner du temps !

J’ai serré les dents, furieuse. Je n’avais pas d’arme dans ma chambre, c’était une règle de Kiran. Mais j’avais mes mains. Et c’était bien suffisant.

_Argh !

Je l’ai évité et je l’ai durement frappé au niveau de l’épaule puis de l’omoplate. Son bras est mollement tombé le long de son corps et il s’est retourné vers moi, le haut du visage empreint de douleur.

  _Qu’est-ce que tu m’as fait ?!

_J’ai bloqué certains points névralgiques. Tu ne pourras pas te servir de ton bras à moins qu’on libère ton Chi.

_Espèce de… !

Il a attrapé une petite épée cachée dans sa ceinture dorsale de sa main valide et l’a brandi devant moi. Je lui ai attrapé le poignet en un geste et je l’ai fait passer au-dessus de moi en le frappant à la hanche. Il est brutalement tombé sur le dos, paralysé de la hanche gauche. Il a bien tenté de se redresser mais je lui ai atteint le genou droit et il s’est écroulé en jurant.


_Qui…qui es-tu au juste ? un…un assassin ?

_C’est pour ça que j’ai été envoyé ici oui.

_C’est pas vrai…j’ai été eu…

Il a commencé à gémir en se tordant au sol tel un ver de terre coupé en deux mais bientôt, les portes de ma chambre se sont ouvertes sur Kiran et plusieurs moines venus en renfort, sans doute interpellés par les bruits de bataille.

_Lena ! Tout va bien ?

_Normalement oui.

Kiran est apparu soulagé quand les autres moines ont entouré mon agresseur. Ce dernier n’a plus bougé quand il a compris qu’il était cerné, le souffle rauque.

_Je ne l’ai pas tué, ais-je murmuré à mi-voix, j’ai cru que ça serait mieux…pour lui demander comment il a pu arriver jusqu’ici…

_Tu as bien fait, m’assura maître Râma, le doyen du monastère, un moine âgé plein de sagesse qui semblait m’apprécier malgré le fait que nous n’ayons quasiment jamais parlé, nous allons l’interroger comme il se doit.

_Mais… ! J’ai le droit de savoir !

Kiran a essayé de me retenir quand maître Râma s’est retourné pour me faire face d’un air apaisé.

_Il est venu me tuer ! J’ai le droit de savoir pourquoi ! Et qui l’a envoyé faire ça !

_Tu le sauras. Mais pas avant que je lui parle.

_Maître !

Kiran m’a attrapé par le bras pour m’empêcher de le rattraper et m’a attiré vers lui avec force.

Les autres moines ont soulevé mon agresseur et ce dernier a quitté ma chambre tel un trophée de guerre posé sur les épaules des vainqueurs. Il m’a envoyé un regard explicite empli de peur et de rage.

Jamais je n’oublierai ce regard là.


_Pourquoi m’as-tu empêché de lui parler ?!

Kiran a eu un soupir en se joignant les mains sous son étole de tissu.

_Il fait ça pour ton bien. Crois-moi.

_Quelqu’un a envoyé cet homme pour me tuer ! Pourquoi ?!

_Lena…calme-toi.

Il m’a invité à venir le rejoindre près de mon lit et a tiré sur le drap pour que je puisse me recoucher.

_Chaque chose en son temps, veux-tu ? Nous verrons ça plus profondément dès demain matin.

J’ai eu un soupir hargneux, les poings serrés.

_Toi aussi tu cherches à m’éloigner.

Il s’est lentement redressé et m’a fait face, les bras croisés.

_Non, je cherche à te protéger. Ce genre de chose n’arrivera plus, tu peux en être certaine. N’oublie pas que nous reprenons l’entraînement, alors retourne dormir. Et ce n’est pas un conseil.

Il m’a indiqué ma couche d’un regard plus sec et j’ai obéi à contre cœur. Il m’a bordé comme lorsque j’étais enfant puis a quitté ma chambre sans jamais se retourner. Il a juste refermé les portes derrière lui et je me suis retrouvée seule, encore portée par l’adrénaline. Comment aurais-je pu dormir après une telle attaque ?


J’ai repoussé mon drap d’un geste franc et j’ai bondi sur mes pieds nus. J’étais en tenue légère car le temps était lourd par cet été écrasant. Par ce même effet, toutes les fenêtres du monastère étaient ouvertes pour permettre une meilleure ventilation. J’ai pu me faufiler par l’une d’entre elles et j’ai couru le long du couloir central sans faire de bruit. J’ai bondi sur une rambarde de pierre et j’ai gagné l’étage en me faufilant le long de cette dernière. Une lueur m’a interpellé. Je me suis écrasée pour éviter d’être vue par les deux moines envoyés pour faire le tour de l’île et j’ai continué ma route pour chercher un point d’encrage qui m’amènerait au deuxième étage. J’ai escaladé grâce à deux gueules de dragon en pierre et j’ai gagné une autre fenêtre ouverte.

Des voix étouffées se sont faites entendre. J’ai atterri dans un autre couloir illuminé par quelques torches et j’ai cherché une cachette plausible. Deux portes se trouvaient au fond : le bureau de maître Râma. Ils avaient visiblement amené mon agresseur jusque là-bas.


« …mens…payé pour ça… ! »

Je me suis faufilée derrière une statue de pierre qui trônait sur le côté pour accueillir maître Râma et je me suis recroquevillée pour tenter de percevoir ce qui se disait de l’autre côté du mur sans qu’une moniale de passage puisse me voir.

« …seigneur de l’Ordre ? »

 « …on… ! …connais pas qui a… ! »

« Comment avez-vous su…la t…ver ? »

 « …me l’a dit. Je vous assure, je….rien… ! »

J’ai serré les dents : j’entendais un mot sur deux, à peine de quoi comprendre le sens de leur conversation. Mon agresseur ne semblait pas savoir qui lui avait demandé de me tuer. Cela ne semblait pas être mon père…pourquoi aurait-il fait ça de toute façon ? je ne lui avais rien fait ! au contraire, j’obéissais aux ordres qu’il m’avait donné lorsque j’étais enfant…

« Zut ! »

Je me suis faite toute petite quand les portes se sont ouvertes sur les moines. Mon « meurtrier » était de nouveau sur leurs épaules, sans doute toujours incapable de bouger à cause de mes points d’action. Je les ai regardé quitter le couloir et je suis revenue près du mur pour réaliser qu’il ne restait plus que Kiran et maître Râma dans le bureau de ce dernier.


_Et pour Lena ?

_On ne change rien. Au contraire. Nous continuons son entraînement. Son père attend qu’elle soit prêtre à le rejoindre et ce n’est pas le cas aujourd’hui.

_Elle a su repousser cet homme sans le tuer.

_Et c’est tout à son honneur. Mais elle n’est pas prête. Elle ne connaît rien du nid de serpent dans lequel elle est née. Il lui faut encore du temps pour tout assimiler…

J’ai baissé les yeux, touchée à vif. Maître Râma avait raison. Je ne savais rien de ce qui m’attendait en dehors de cette île.

Kiran me l’avait appris, mais cela restait abstrait. A présent, je réalisais qu’être une bâtarde faisait de moi une cible. Cette évidence me frappait alors que je me cachais tel une souris dans son trou…quelqu’un voulait me rayer de l’arbre généalogique du seigneur de l’Ordre. C’était ça mon fardeau.

_Lena ?


Le lendemain, Kiran est venu me retrouver dans le jardin du monastère. Je boudais dans mon coin, assise près d’un immense lilas violet qui avait l’habitude d’embaumer tout l’extérieur. Je m’étais entraînée toute la matinée avec hargne pour oublier l’humiliation de la veille. Mais je ne parvenais pas à en démordre. J’avais beau être fatigué, je jouais encore avec une dague pour tester l’agilité de mes doigts, au risque de me couper, comme souvent.

_Ecoute…soupira-t-il en venant me rejoindre, les mains jointes sous son étole, je me doute de ce que tu ressens…mais maître Râma doit assurer ta protection avant toute chose.

_Vous savez qui a envoyé cet homme pour me tuer ?

J’ai levé les yeux vers lui et il s’est pincé les lèvres. J’ai jeté ma dague dans l’herbe et elle est venue se planter entre ses pieds.

Il n’a pas bougé : il savait que je ne le blesserais jamais volontairement.

_J’imagine que vous allez me le cacher pour éviter de me choquer.

_Lena…

Je me suis brutalement redressée et je lui ai fait face. Il a simplement relevé le menton pour me regarder dans les yeux, car malgré mon âge, j’étais déjà quasiment de sa taille.

_Est-ce que c’est le seigneur de l’Ordre ?

_…non. Cet inconnu assure que non. L’homme qui l’a payé pour ta tête était bien des archipels mais il n’était pas assez riche pour faire parti de l’entourage de ton père. Après…ce n’est pas un gage de vérité.

J’ai légèrement fait bouger ma mâchoire sur le côté, le souffle douloureux.

_Est-ce que je risque de me faire tuer à chaque fois que je mettrai le nez dehors ?

_Personne n’aurait du savoir que tu te trouvais chez nous. Mais ce secret a été éventé….sincèrement, je doute que quelqu’un ose revienir ici. Après tout, c’est bien nous qui t’apprenons l’art de tuer…


Son air mystérieux a réussi à m’arracher un sourire. Mais je me suis bientôt sentie mal. Je ne m’attendais à ce que quelqu’un cherche à me tuer. Je n’existais même pas officiellement…ou si peu.

_N’y pense plus, déclara Kiran en posant une main sur mon épaule, concentre-toi plutôt sur ton entrainement. Tu aurais moins peur en devenant plus forte.

_Qui t’a dit que j’avais peur ?

Il a eu un sourire amusé tandis que je bougonnais dans mon coin, et a levé un doigt pour repousser une mèche qui me gênait la vue.

_La salle nous attend. Tu es prête à te battre ?

Je l’ai regardé avec un air de défi.

_Tu n’as pas idée.

_Alors viens. Il nous reste du temps avant le déjeuner.


Cet épisode est resté l’un des plus marquant de mon apprentissage…il a été un véritable tournant pour moi. Réaliser ma situation en étant si loin de ma famille…réaliser que j’étais un danger pour quelqu’un qui était prêt à tout pour se débarrasser de moi…malgré le soin des moines à vouloir me protéger, je me doutais qu’il n’y avait pas qu’une personne. Ils étaient sans doute plusieurs. Sans doute avec des motifs différents, mais ils étaient là. Et moi, j’étais seule face à eux…

J’ai passé les trois années suivantes à m’entraîner en essayant de comprendre. Toujours m’améliorer, devenir une ombre…si impalpable que même Kiran en serait troublé. Si silencieuse qu’il ne me sentirait même pas venir derrière lui.


_Touché !

Il a fait volte-face avec son long bâton de combat, prêt à me frapper. Mais j’avais déjà disparu dans la pénombre de la pièce.

_Ah ah je t’ai eu !

Il a secoué la tête en baissant son arme.

_Tu serais mort si j’avais voulu !

_D’accord, d’accord…tu as gagné. Tu es contente ?

_Oh oui !

J’ai bondi en dehors de ma cachette et il a secoué la tête, amusé. J’ai fait une révérence et il m’a salué, une main sur le torse. J’avais gagné ! J’avais acquis assez de connaissance pour battre l’un des moines qui avait toujours vécu sur cette île. Qui s’était lui même entraîné pour m’apprendre tout ce dont j’avais besoin…j’avais poussé mon corps et mon esprit dans les limites les plus profondes. Et je n’avais que 17 ans…j’avais encore tellement à apprendre.

A cet instant, j’étais juste heureuse à l’idée de l’avoir dépassé. Mais lui m’observait avec un regard un peu sombre.


_Qu’est-ce qu’il y a ?

J’ai arrêté de me réjouir quand il a doucement soupiré en rangeant son bâton sur le portique où s’étalaient toutes les armes de combat.

_Cet acte signifie la fin de mon rôle de professeur.

_Quoi ?

Les bras m’en sont tombés.

_Tu plaisantes ? je commence à peine à me débrouiller !

_Tu es plus avancée que tu ne le crois. Aujourd’hui, nous sommes du même niveau. Et par cela, je n’ai plus rien à t’apprendre.

_Non….non non non ! C’est n’importe quoi ! Je refuse d’avoir un autre professeur !

_Lena, nous pourrons toujours nous entraîner ensemble. Simplement, tu vas sans doute devoir travailler avec maître Râma à partir d’aujourd’hui.

_Avec maître Râma ?

J’ai à peine caché une grimace.

A dire vrai, je me méfiais de lui depuis l’épisode de mon agression. Il cachait plus de chose qu’il voulait bien le faire croire.

_Et bien et bien…en voilà une bonne nouvelle. Tant d’années ont passé déjà…il faut dire que tu es devenue une femme si rapidement…


J’ai serré les dents quand la voix du principal intéressé s’est faite entendre. Comme par hasard, il se trouvait juste derrière nous au moment même où nous parlions de lui.

Je crois que je l’ai fusillé du regard sans même m’en rendre compte. Il ne s’en est pas formulé en descendant les marches, les mains croisées dans le dos.

_J’ai de bonnes nouvelles pour toi Lena. Un message du seigneur de l’Ordre vient tout juste de me parvenir. Pour ce jour spécial.

J’ai reculé la tête. C’était la première fois que je recevais un message de sa part. On aurait presque pu croire qu’il avait oublié mon existence …et voilà qu’il m’écrivait.

_Qu’est-ce qu’il me veut ?

_Je l’ignore. Je ne l’ai pas ouvert.

Pour preuve, il est arrivé devant moi et m’a tendu un parchemin lourdement cacheté. Je l’ai attrapé avec hésitation et je l’ai détaché d’un geste sec. Là s’est dessinée une écriture manuscrite à la plume. Sans doute celle de son secrétaire.


« Lena. Aujourd’hui est le jour de ton dix-septième anniversaire. Cela fait de toi une adulte selon nos lois. Par ma décision, je te demande de revenir auprès de moi comme nous l’avons convenu lorsque tu as intégré le monastère d’Oundan. Je suis certain que tu es devenue forte et sage et que tu m’accompagneras efficacement dans mon travail. Rejoins-moi avant la prochaine lune et je t’accueillerais dans tes nouveaux quartiers.     

    Le seigneur de l’Ordre de Rei, Tenno »


J’ai eu une longue inspiration, la poitrine douloureuse. Je ne m’attendais pas à une telle chose. J’avais imaginé que cela me transporterait de joie mais en réalité…j’étais terriblement déçue.

_Lena ?

J’ai levé les yeux sur Kiran qui n’a pas eu besoin de mes mots pour comprendre le sens de ce message.

_Cela devait arriver…souffla-t-il à mi-voix.

_Il est en effet temps de te ramener chez les tiens. Tu es prête à présent.

_J’ai encore des centaines de chose à apprendre !

_Et nous te les enseignerons, déclara doucement Kâma avec un sourire, mais pour l’instant, tu dois faire ce pour quoi tu es née.

_Maître !

Kiran s’est dressé entre nous en tendant le bras. J’ai reculé d’un pas. C’était la première fois qu’il se présentait ainsi devant celui qui lui avait tout appris.

_Cela ne me plait pas, Kiran, déclara-t-il sans se vexer, crois-moi que je préférerais garder Lena encore quelques années avec nous. Mais le seigneur de l’Ordre a été très clair à ce sujet : sa fille doit lui revenir. Et malheureusement, nous dépendons trop de lui pour oser se dresser contre ses ordres.

_…alors ne la présentez pas comme un objet…

J’ai difficilement dégluti, touchée. Kâma l’a longuement dévisagé et son sourire s’est attristé.


_Elle devra malheureusement s’habituer à ce genre de remarque dans la cour du Seigneur. Lena, reprit-il doucement en se tournant vers moi, sache qu’à partir du moment où tu poseras le pied à Primera, tu deviendras la main Noire. Celle qui devra répondre aux ordres du maître des lieux sans poser de questions. Mais tu seras aussi Lena, la fille cachée de ce dernier. Tous les nobles connaissent ton existence, et peu l’acceptent. Tu es synonyme de honte pour Tenno. Tu es sa plus grande erreur.

J’ai serré les dents petit à petit au fur et à mesure de son discours.


_C’est du moins ainsi qu’ils te verront, continua-t-il avec calme, bien qu’il t’ait parfaitement reconnue à la naissance et que ton nom ait été inscrit sur l’arbre généalogique de la famille, tu resteras « différente », contrairement à ton frère le prince Eisaku et ta sœur, la princesse Akishino. Ne t’attends à aucune aide de leur part.

_Je sais…

Il a faiblement hoché la tête de manière entendue puis s’est tourné vers Kiran.

_Je vous laisse pour les préparatifs. Prenez votre temps.

Il a ensuite fait demi-tour et a quitté la pièce sans faire le moindre bruit. J’ai serré le parchemin de mon père si fort qu’il aurait pu se déchirer en deux entre mes doigts.

J’ai senti les larmes monter mais je les ai retenu en fermant les yeux. Kiran s’est approché et je me suis retournée pour venir contre lui dans un mouvement brusque. Je n’ai pas réfléchi à mon geste. Il ne m’a pas repoussé, il m’a juste tenue pour me bercer un peu. Il avait presque la quarantaine à présent, c’était lui qui m’avait élevé. Pas cet homme qui m’appelait à présent à ses côtés…


_Tout va bien se passer…ce n’est pas comme si nous n’allions plus nous voir…

J’ai doucement reculé, la gorge douloureuse et il m’a souri en repoussant de nouveaux ces cheveux qui me gênaient la vue.

_Viens. Il y a quelque chose que j’aimerai te montrer.

Il m’a invité à le suivre d’un geste du menton et j’ai obéi en abandonnant mes protèges poignées qui contenaient plusieurs de mes dagues.

Il m’a entraîné dans les couloirs du sous-sol, là où je n’étais jamais allée malgré mes années d’entraînement. Il a attrapé une torche et a allumé deux d’entre elles qui se tenaient autour d’une large porte. Dessus était dessiné l’emblème du monastère : une tête de dragon peint en jaune, la gueule grande ouverte.

Les dragons…des créatures qui étaient censées avoir existés avant le Cataclysme. Je n’ai jamais cru à leur existence…mais sur cette île, les moines aimaient les prier, comme s’ils pouvaient résoudre leurs problèmes. Si c’était le cas, où étaient-ils le jour de la catastrophe ?


_Où sommes-nous au juste ?

_Dans les anciens quartiers du monastère. Ils sont peu utilisés aujourd’hui. Ils datent de la Reconstruction.

_Ah carrément…

La Reconstruction…la période reconnue la plus ancienne après les roches tombées du ciel. Quelque chose qui datait de plusieurs générations déjà.

_Nous y sommes.

Il a levé sa torche et en a allumé deux autres qui ont entraîné une vague de flamme dans toute la pièce que nous venons d’ouvrir. Cela sentait la poussière et le renfermé. Mais lorsque toutes les torches ont fini de se relier, j’ai découvert une grande salle dont les murs étaient couverts de tentures.

_Wha…

J’ai levé le nez, surprise par la hauteur du plafond voûté. Nous étions vraiment sous terre.

_Qu’est-ce que ça raconte ?

_La guerre de la Division. Ou comment les hommes ont été rappelé à l’ordre par notre mère nature.

J’ai fait une moue explicite en essayant de détailler les silhouettes qui se dessinaient à peine sous les flammes dansantes. Oui ces tentures étaient vraiment vieilles…

_…mais ce n’est pas ça que je voulais te montrer.


Il a posé sa torche dans une main de fer et s’est avancé en direction d’un autel de pierre dont je devinais à peine les contours. Il a attrapé un drap noir couvert d’une poussière qui m’a violemment fait toussé et l’a laissé sur le côté avant d’éternuer à son tour.

_Il faudrait peut-être faire un peu de ménage par ici, grimaça-t-il avant d’ouvrir les mains, mais au moins, il est toujours là.

_Il ?

Je l’ai rejoint après avoir fait quelques pas dans la pièce et j’ai découvert ce qu’il tenait entre ses mains : un masque entier. Un masque blanc aux yeux taillés en amande.

_Il appartenait à la première Main Noire éduquée dans nos murs.

_Vraiment ?

Sur la joue gauche se tenait un dessin de flamme bleue dont les tentacules remontaient jusqu’au dessus de l’œil gauche. C’était primitif. Et très intriguant.

_Tiens...vas-y, prends-le.

Il me l’a donné d’un geste amical. Je l’ai retourné, comme par instinct. Deux sangles de cuir maintenant usées devait l’aider à le faire tenir autour de la tête de son porteur. A voir sa forme élancée, j’ai eu comme un doute.

_C’était une femme ?

_Toutes les mains Noires étaient des femmes, me dit-il dans un sourire, je ne te l’avais jamais dit ?

J’ai doucement approché le masque de mon visage sans oser le mettre. Il m’allait parfaitement.


_Qu’est-ce que je suis censée en faire ?

_Le porter. Lorsque tu auras une mission...pour cacher ton visage. Ton identité sera ton plus grand secret.

_Mais…tout le monde à la cour de mon père doit savoir que je suis une main Noire !

_Non. Officiellement, tu es partie pour être éduquée par de grands professeurs étrangers. Vivre un autre cursus que tes demi-frère et sœur. Afin d’apporter d’autres choses au seigneur. Une sorte…d’ouverture sur le monde.

J’ai aussitôt eu un rire nerveux que je n’ai pas pu contrôler.

_Une ouverture sur le monde ? J’ai grandi dans un monastère !

_Ça, personne ne le sait.

Je me suis refermée et il a doucement soupiré.

_Presque personne disons…

_…je vais vite devoir découvrir de qui il s’agit si je veux survivre.

Kiran a doucement baissé la tête : oui ce n’était plus de l’entraînement à présent. Je devais mettre un pied dans la réalité du monde qui allait être le mien.

_Garde ce masque, me dit-il en fermant mes doigts dessus, nous allons refaire faire les sangles et il sera tiens.

_Kiran…

_Je vais t’aider pour tes bagages. Ensuite, nous irons manger avec les autres.

_Kiran !

Il s’est arrêté alors qu’il me tournait déjà le dos pour quitter la salle.

_…je reviendrai aussi vite que possible.

Il a faiblement tourné la tête, un petit sourire aux lèvres.

_Je sais.


J’ai dû quitter l’île du monastère dès le lendemain, avec un simple bagage pour contenir toutes mes affaires. Dedans se trouvait le masque de la main Noire, quelques souvenirs des moines et moniales qui avaient tenus à m’offrir quelque chose pour mon départ, et des habits pour me présenter au seigneur de l’Ordre. J’avais aussi mes armes et mon uniforme noir. Celui que personne ne devait voir en ma possession.

Je n’ai pas regardé Kiran rester debout sur la rive, la gorge sèche. Je suis montée à bord du navire venu me chercher et ce dernier s’est doucement élevé dans les airs pour atteindre une hauteur convenable au voyage. J’ai à peine regardé la mer défiler sous mes pieds…

Cette île était mon lieu de vie. La quitter comme ça…bien que l’on me l’ait toujours dit…cela me rendait malade.

Plus loin m’attendait Primera, la capitale de l’Ordre de Rei. Une sorte de monstruosité qui couvrait toute l’île centrale des archipels. Il n’avait plus aucune place pour la nature. Tout était pour la construction de maison, de sentier, de port pour les vaisseaux…plus aucune place pour les arbres, les lilas…

Et dire que j’allais devoir apprendre à vivre dans ce monde de fou…


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